à propos

les éclosions du réel photographie: Rémi Vimont

Texte écrit par l’écrivain Dominique Sampiero sur l’oeuvre de Myriam Hequet

                                                                                les éclosions du réel

Des questions de papier. De peau. Quasi cellulaires, organiques. Des phrases qui ont perdu leurs consonnes, leurs voyelles, dépouillées de leur signifiant mais dont les silhouettes dessinent des envols sur les murs, des flottements, des lévitations.

Quelque chose fredonne. Pas de réponse toute faite. Au contraire. Une réponse, dans le mouvement de chercher. Un appétit, quelque chose comme une ferveur dans le désir d’exploration. Le désir de vivre. Une quête aussi fragile que les ailes d’une abeille sous l’effritement du pollen. Je récolte ce que mes mains ont cueilli dans le réel, et tout cela aurait pu se briser, disparaître, m’oublier.

Des attitudes oniriques, suggestives ouvrant soi-même au rêve, à la méditation. Au silence incarné. Au retour à soi. Au centre. À la quête du centre comme équilibre. Le silence : prendre un grand bol d’air. Une gifle d’air frais dans une rue pourtant bruyante : la vie. La fragilité comme petite extase. Une apparition qu’on aimerait protéger.

Le regard doit construire lui-même sa propre lecture. S’interroger une forme après l’autre. Dans un jeu où il est question d’emporter un peu plus loin le sensible, de le désencrasser de ses clichés. Au départ pourtant, une émotion. Du désir de faire, de dresser, d’inventer, de creuser l’esthétique. Un désir de suivre à la trace son désir de la forme justement. De le pister jusqu’au vertige de la trouvaille.

Quelque chose va rester de cette étreinte entre moi et ? Quoi ? L’invisible ? L’au-delà ? Le réel ? Entre moi et l’infini mouvement de la matière, tantôt visible, tantôt silencieux ? La terre tourne et je ne sens rien. Les atomes gravitent et je ne vois rien, à l’œil nu. Le sang dans mon corps connaît cette vérité du mouvement, il en parle entre mes doigts.

Chaque jour, dans l’atelier, il s’agit d’une naissance entre le tactile et la force-présence. Dans la concentration de l’apparition. Avec une envie de se taire. De répondre par le silence d’une singularité en action. De contempler. Des œuvres papier accrochées au mur s’immobilisent comme des insectes, des formes étranges, trouées mais quasi vivantes, témoignant de cette parturition en perpétuelle alchimie avec les éléments.

La curiosité des assemblages inventés, éventrées, cueillies dans le corps ou dans la faune, la flore, dans l’espace urbain aussi déroute le regard, l’oblige à plonger à l’intérieur, à refaire surface pour voir, regarder vraiment le monde dans les yeux de ses offrandes.

Myriam Hequet est une artiste de la vigilance et de la méditation. Du geste abouti dans un mouvement. Elle se pose la question, nous pose la question, de ce qui vibre dans la matière, la lumière des choses. Leur secret atomique. Elle fouille avec douceur, énergie aussi, du microcosme au macrocosme, de l’œuf à la constellation. D’une organisation anodine, elle va dégager une essence, un mouvement vers. Un envol ou un atterrissage. Une pesanteur, une chute ou une élévation.

Elle invente une attention. Une façon d’être là, au monde. Par une observation constante. Tendue. Mais ludique aussi. Une sorte de quête du bout des yeux. Du bout des doigts. Du sensible à fleur de regard. Le regard comme fleur justement, éclosion. Ce qu’elle voit n’existe pas tout de suite. Elle l’imagine à travers un réel qui la provoque, l’invite non pas à un détournement mais une traversée de l’immanence.

Une poétique de la substance. Un va-et-vient dedans dehors. Une exploration des limites de la matière devenue matériau. On s’inquiète d’autant de cette transparence, de ce qu’évoque cette fragilité mise en scène mais d’une inquiétude comme un retour du refoulé. L’éphémère de l’existence ? Du corps ? De notre environnement ? Elle nous oblige à avoir des pensées de protection, de sauvegarde. À prendre des précautions avec nos pensées, nos gestes. À prendre soin de nous. De notre réalité vivante. Et celle qui nous entoure évidemment.

Le corps, les mains cherchent des figures. On ne peut pas enfermer les formes ou les rapprocher à d’autres œuvres contemporaines car il est question d’une singularité en action vers. Un mouvement essentiel développe une à une les étapes de sa maturation. Il est question de chercher et de ponctuer cette aventure de tous les inconnus rencontrés.

Un langage plastique qui invente ses règles et ses transgressions, sa grammaire et sa syntaxe, est utilisé comme parole peut-être. Capable de se confronter à l’organique autant qu’au cosmique.

Dans le lieu précaire de son atelier, nécessité comme dans l’enfance de retrouver le poste d’observation, le mouvement intime de la cabane, je cache, je me cache, je me décoche, l’excitation de l’endroit quasi bricolé dans le secret, avec le recueillement sérieux des jeux inutiles mais essentiels, qui nous accaparent corps et âme, on colle, on perce, on perfore, on évide, on évite, on gonfle, on suspend, on élève, on abaisse, on étire, on enroule, déroule, on soutient, on dépose, on accroche, on décroche, on pense, on se dépense, on laisse faire, on contredit, on développe, on détruit, on blesse, on soigne, on cicatrise, on enrobe, on contient, on évide, on remplit.

Le monde dans lequel on vit est-il enfer, purgatoire, Éden de la consommation et du pouvoir ? Artifice, nécessité ? Comment l’homme gère-t-il l’espace et ses angoisses à l’intérieur de la crise planétaire, mondiale ? Comment se nourrit-il, se déplace-t-il, avec qui et pourquoi communique-t-il ? Évolue- il ou régresse-t-il ? Comment gérer à son tour et en tant que personne, fourmi dans le cosmos, le temps, ses aliénations, ses dépendances, comment nourrir ou fuir son lien avec les autres ?

Le papier devient porcelaine, la porcelaine devient papier. Une écriture s’invente sans les mots. Une mue tourne doucement à l’intérieur du corps, cellule après cellule, une petite mort blanche, anodine, des morceaux de cette transformation remontent à la surface dans nos cauchemars qu’il faut transformer en rêves. C’est ce qu’elle fait.

Myriam Hequet dresse les forêts du réel immenses ou miniatures comme des entrées, des seuils initiatiques qu’il faut franchir du corps et du regard, organisant la lumière des feuillages vers un partage communautaire. Une réflexion, une pensée conjointe.

Faire avec, faire pour, faire dans et à côté de. Ce qu’elle nous offre ressemble à un geste en perpétuel devenir, une présence humaniste au silence non comme révélation d’un dieu, d’une croyance mais tout simplement d’une présence à l’autre, au monde.

Myriam Hequet convoque, exorcise, poétise le vide, un néant qui pourrait nous effrayer. Sa tentative est de l’ordre de l’espoir, un espoir qui nous oblige à inventer, imaginer une résilience avec cette apocalypse en marche des ressources naturelles et de ce qui tout doucement abime la planète.

Elle n’a pas résolu le comment. Et elle invente de nombreux pourquoi. Mais son œuvre nous suggère qu’il existe un possible. Et dans l’œuvre au noir du pessimisme ambiant, c’est un nouveau souffle dans l’agitation de l’ici maintenant, une vision salutaire qui fera du bien à chacun d’entre nous pour penser autrement, tout simplement.

 

Dominique Sampiero

écrivain / Octobre 2019